Mardi 21 juin

A 6h30, tout le monde est debout car Madeleine a des exigences de Diva. Craignant la chaleur, elle veut parcourir le village à la fraîche. Ne voulant plus sortir de la maison à cause du chien du voisin, il faut donc que je la conduise à 7h30 sur le Cours. Pour ma part, je suis debout depuis un moment, cela n’est donc pas un gros problème tant qu’on ne m’oblige pas à sortir par les grosses chaleurs...

Madeleine entame son petit déjeuner et c’est un festival de vaisselle. Pour faire un repas normal, il lui faut deux assiettes, une assiette à dessert, deux verres et un bol. Pour le petit déjeuner il lui faut, deux bols, deux verres et une assiette à dessert, tout cela avec des couverts différents. Heureusement, je ne suis pas allergique aux vaisselles, sinon…

Si je suis prêt à partir à l’heure, Madeleine ne l’est pas et je lui en fais vertement la remarque ‘il est inutile de me faire la leçon pour observer un ordre du jour très précis si, au premier départ, vous avez déjà 30 minutes de retard. Alors, à partir de maintenant, si vous n’êtes pas à l’heure, vous vous débrouillerez sans moi, je ne suis pas votre domestique’. Elle bredouille quelques mots que je n’arrive pas à comprendre mais semble impressionnée par mes remontrances !

Je la laisse sur le Cours, lui achète des fruits (je n’en mange jamais), je fais mes courses et en retournant vers la voiture je rencontre Anne, la femme de l’ex-président de la Confrérie des Amis de St Jean à Barbentane. Je l'entretiens de mes avatars avec ma chercheuse, et elle, hilare, me signale qu’elle s’est fait remarquer dans tous les villages où elle est passée. A St Rémy, comme elle était au milieu du passage, elle s’est fait bousculer, à Mollégès les jeunes lui ont subtilisé son tabouret, etc. C’est pour cela qu’elle était entrée à la Mairie de Mollégès sans son tabouret et ressortie avec. Que depuis une semaine, Madeleine abreuvait Anne et son mari de coups de téléphone et qu’elle n’était nullement étonnée...

CP avant 1900 Le village vu du sud (Collection Jackie Petit-Louis)

CP des années 1910 Le village vu de l'ouest (Collection Jackie Petit-Louis)

C’est bien dubitatif que je rentre au mas préparer le déjeuner. Là, comme j’ai le temps, et que le mardi ma femme de ménage mange avec moi, je leur prépare un repas de reines. Pensez : salade, tomates à la Provençale et filets de poissons aux petits légumes cuits à l’étouffée. Je passe ma matinée à éplucher les légumes et préparer le repas...

A 10h15 je reçois un appel d'Aline, serveuse au bazar du village, qui me dit avoir récupéré Madeleine en mauvais état à cause de la chaleur et elle me demande de venir la chercher. Ça tombe bien, car je dois acheter le livre pour Peter, et je prie Aline de me mettre le livre ‘Terre Barbentanaise’ de côté. Je file une nouvelle fois au village récupérer cet ouvrage et mon bipède boulet. Aline est un ange, mon cadeau est prêt, emballé, mitonné. Madeleine, toute rouge, est assise dans un coin, en quête d’une fraîcheur toute relative auprès d’un ventilateur...

Je ramène ma rougeur au mas, un peu inquiet tout de même ; aurais-je passé ma matinée à cuisiner si elle ne peut pas en profiter ? Que nenni, à l’heure dite, midi pétante, Madeleine est debout, derrière sa chaise, le regard vissé sur son assiette, prête à manger. Elle récupère vite ma Suissesse, ah ! Oui, j’ai oublié de vous dire que mon Étasunienne est aussi Suissesse, car d'après ses dires, elle vivait en Suisse depuis 30 ans dans une vallée bilingue, allemand-français...

Ma femme de ménage est émerveillée de la voir manger. C’est bien simple, elle reprend deux fois du poisson et, aux repas de midi et du soir, elle mange 20 demi-tomates à la Provençale ! Faut dire, sans me vanter, si, un peu quand même, que je suis un excellent maître queux. Elle trouve le repas à son goût, c’est déjà pas mal, mais aucun progrès pour la vaisselle, elle en reste une grande utilisatrice...

CP des années 1930 La façade nord du Château du Marquis

(Collection Jackie Petit-Louis)

J’en profite pour lui signaler que je n’ai point d’actions à EDF et qu’il faut éteindre les lumières lorsque cela ne s’avère pas absolument nécessaire, et que, à cause des courants d’air, il faut aussi fermer les portes, surtout celles qui sont vitrées car le verre est une matière fragile. Elle me raconte que cette façon de voir est typiquement française et que cela relève d’un état d’esprit à compartiments et autres amabilités. Qu’aux States c’est l’inverse et, qu’ainsi on veut montrer un esprit ouvert et libre. Je lui réponds d’accord mais si vous cassez une vitre vous la payerez avec autre chose qu’un état d’esprit et que les Étasuniens ne sont pas les mieux placés pour nous faire la leçon sur les économies d’énergie. Le repas fini, Madeleine s’enquiert du combiné pour téléphoner ! Je lui dis ‘ok’, à condition que ce ne soit pas vers un téléphone portable car ça coûte une fortune (avec les forfaits ADSL vous le sentez passer) et pour ces numéros-là je lui prêterai mon téléphone portable. Oui, d’accord, me dit-elle, et je pars faire un câlin ‘siestique’ à Morphée...

Au réveil, il y a un branle-bas de combat. De toute évidence, le courant n’est pas passé entre mes femmes du jour. Madeleine a décidé d’expulser ma femme de ménage de l’ordinateur et celle-ci en est toute courroucée. En moi-même, je suis un peu ravi ; vais-je assister à un crêpage de chignon ? Hélas non, les choses n’iront pas jusque là, mais c’était moins une. En plus, en vérifiant les numéros composés, il y en a deux qui commencent par 06, j’en fais la remarque aussitôt à Madeleine qui me regarde toute troublée, forcément elle ne sait pas que les portables commencent tous par 06 ! Ma chercheuse n’est pas plus douée en matière de téléphone qu’en histoire des États-Unis. De plus, pour elle un portable et un sans fil c’est pareil, alors, comme à Coup de Pouce, mon association de soutien scolaire, me voilà parti dans une explication pédagogique sur les téléphones, là un sans fil, là un fixe, là un portable. Je ne suis même pas sûr qu’elle ait tout compris, de toute façon elle s’en moque, ce n’est pas elle qui paie et ça je m’en rends très bien compte !

CP des années 1930 Le Château de l'Ilon détruit lors de l'endiguement

du Rhône dans les années 1960 (Collection Jo Ayme)

Je pars ensuite au village pour remplir mes obligations éducatives et reviens la chercher au mas car nous avons décidé qu’à 18h15 nous partirions vers Noves pour ramener le pot de fleur de la veille. Le seul truc qui a dû faire un ‘voyage’ entre ses deux mains depuis bien longtemps pensais-je, mais c’est vrai, j’ai l’esprit toujours mal tourné comme me le dit souvent ma maman à moi…

Dès le départ, les choses se présentent mal, au croisement pour sortir de la campagne et rejoindre la route sous le village, elle se met à vociférer des ‘Attention !’, se raidir, se contracter et brailler… Il n’y a pas plus de circulation que d’habitude et je ne prends vraiment aucun risque. Alors, je lui demande d’avoir peur en silence car ses cris aigus me gênent et risquent de troubler mon comportement exemplaire...

De toute façon, comme tous les Français de France et de Navarre, je suis le meilleur conducteur du monde, et Ralph Schumacher est un rigolo ; d’ailleurs j’ai déjà battu Alonzo à la régulière (au moins en rêve). Remarquez que, maintenant en France, il faut être très riche pour ne pas respecter le code de la route et que, n’ayant pas les moyens, je suis bien obligé de m’y tenir. Je ne sais si ce sont mes propos ou la rudesse avec laquelle ils ont été prononcés, mais elle finit par se calmer...

En passant par Rognonas, elle me demande de faire un crochet pour voir le centre du village et, une fois de plus, elle sort de la voiture en courant et s’extasie devant l’église tout à fait ordinaire. Si vous n’avez jamais vu quelqu’un, un pot en plastique à quatre sous à la main avec une fleur bariolée dedans, en extase devant une église insignifiante je vous amène Madeleine...

CP des années 1930 Autre vue du Château de l'Ilon aux indications

très fantaisistes (Collection Jackie Petit-Louis)

Moi, me faisant relativement tout petit derrière mon volant, je ferme les yeux pour que personne ne puisse me voir. De toute façon son plaisir est bref, car je lui rappelle son rendez-vous à Noves et qu’il faut le respecter. Nous trouvons facilement la personne qui, je le suppose, l’a hébergée durant son ‘étude’ de la Charrette Novaise. L’échange est rapide, je suppose que son ancienne logeuse a dû s’évanouir en la revoyant et manifestement ne fait guère d’efforts pour la retenir. Pour le chemin de retour Madeleine me demande si je peux faire un crochet pour passer par St Michel-de-Frigolet. Bof ! Pourquoi pas, me dis-je, et me voilà parti vers la Montagne de Barbentane...

Madeleine commence à m’indiquer les routes à prendre, je lui signale encore une fois que je connais le pays et que je sais me débrouiller tout seul. Que si elle veut, je peux même lui indiquer des coins particuliers où il n’y a pas si longtemps, j’ai tenté et jusqu’à maintenant toujours réussi avec succès, une certaine harmonisation entre ma copine du moment, les amortisseurs de ma voiture et moi-même. Une forme de translation harmonieuse qui va de haut en bas, qui se pratique généralement allongé et qui se finit toujours de la même façon. Le parcours pour y arriver relève d’un secret bien gardé et que je suis prêt à lui dévoiler, mais uniquement dans l’intimité. Que beaucoup de petits XYXYXY inutiles ont été, là, lâchement abandonnés. Mais que ce n’est pas grave, la nature sait facilement les renouveler. Honnêtement, Madeleine est assez insensible à mon humour du deuxième degré (ou troisième je ne sais…), mais au moins elle va me f… la paix.

En traversant Eyragues, je lui montre la mairie, lieu de son rendez-vous de samedi matin, puisqu’elle doit poursuivre son ‘étude’ dans cette localité. Je l’invite ensuite à admirer le chemin de croix de l’Abbaye en montant vers Frigolet, mais vu l’heure tardive et connaissant les mœurs ‘pères poules’ de ses occupants, je doute que les portes soient encore ouvertes...

Madeleine pour qui tout ce qui représente une flèche dressée vers haut n’est pas à négliger (ne vous y trompez pas, en pierre, uniquement en pierre…), se précipite vers la basilique. Comme prévu, elle en revient quelques instants après. Les Bons Pères habitant les lieux lui ont demandé de revenir un autre jour et à une heure moins avancée. Je lui montre alors notre Montagnette, ses odeurs à nulles autres pareilles, ses pins extraordinaires, ses croix étonnantes et variées, ses oratoires malheureusement pillés et, pour finir en beauté, le moulin de Bretoule et les viaducs tout neufs du TGV Méditerranée...

Il faut croire que la balade lui a ouvert l’appétit, elle avale des parts de salades de pommes de terre, des tomates à la provençale, deux tranches de jambon, du fromage de chèvre malheureusement encore gaspillé et un fruit ! Le tout avec un drôle de mélange de lait, de citron, d’eau tiède et de chocolat en poudre...

C’est au cours de ce repas copieux que les choses se gâtent définitivement. Ne voilà t-il pas qu’elle se met à discréditer les Cheminots, certes Suisses, mais Cheminots quand même. Qu’elle me raconte des trucs extravagants, dans le genre pour aller de Genève à Barcelone il faut, avec le chemin de fer, passer par Irun, c’est du moins ce que les vendeurs de billets suisses lui ont raconté, voilà pourquoi elle prend le bus. Ensuite, elle se met à me raconter comment marche le chemin de fer ! ‘Fatal Error’, mon sang ferroviaire ne fait qu’un tour, je la remets vertement sur les rails et lui susurre méchamment qu’elle a dû demander un truc impossible dans une langue inconnue et, pour se marrer, son correspondant l’a envoyée bouler ! De toute façon, l’ayant prise en flagrant délit de mythomanie, notre conversation se dégrade beaucoup et la politique est arrivée. Pour juger de ses capacités d’indignation, je lui signale que pour moi il n’y a aucune différence entre le gouvernement des États-Unis et les théocraties islamistes. Tous les deux gouvernent sur la base de livres qui disent n’importe quoi et plus encore. Que je me marre franchement quand je vois un type, le Président des États-Unis, qui va présider un pays qui n’existe même pas dans le texte du livre sur lequel il prête serment ! Que la terre étant plate, selon les écrits divinatoires, les États-Unis sont peut-être le pays des démons, l’espace du Mal, le fleuve des enfers ! Au bord de l’apoplexie, bredouillant des mots anglais dans lesquels, mais je n’en suis pas vraiment sûr, sont nommés Lucifer, Satan et bien d’autres démons, Madeleine s’indigne! Un ange passe, rouge et noir, la couleur des anars. Franchement, je suis ravi de moi, bête et con, mais content quand même. Il faut enfin se séparer, ce qui est fait sans regret...

CP des années 1930 Cour d'honneur du Château

d'Andigné (Collection Daniel Grimaldi)

Barbentane, le plus beau village de l'Univers

Quelques instants après, Madeleine apparaît dans le même accoutrement que la veille pour se doucher. Elle me demande d’allumer la chaudière. Un peu surpris je lui demande pourquoi, elle me dit qu’elle ne veut pas se laver à l’eau froide, et que par crainte des orages j’ai débranché ma chaudière, ce qui est vrai (la foudre en campagne est terrible, elle casse tout ce qui est un peu fragile, j’y ai laissé deux modem et les nouvelles chaudières sont bourrées d’informatique). Je lui fais remarquer que le ballon d’eau chaude contient plus de 100 litres, que c’est largement suffisant pour une douche et que si elle gaspillait moins d’eau chaude dans la journée cela irait mieux. Elle ne veut point en démordre et je suis obligé, devant elle, de m’exécuter et de remettre la chaudière en route...

Drôle de zig quand même ! Mais je me venge en lui montrant comment nettoyer la douche après l’avoir utilisée et en lui disant que je viendrai vérifier après. Elle prend sa douche, et monte se coucher en vitesse, mais la douche est presque nettoyée, hé hé !

CHRONIQUES VILLAGEOISES

TEMPÊTE SUR LA ST JEAN

BARBENTANE 2005