Vendredi 24 juin

C’est le jour de la St Jean, le jour où il faut se lever tôt pour participer aux festivités. Et, bien sûr, ce jour-là ma chercheuse n’arrive pas à se lever. A 7h45, n’y tenant plus je la hèle du bas de l’escalier pour la réveiller. Dès qu’elle se pointe pour déjeuner, je lui fais remarquer que toute la semaine elle m’a fait une vie d’enfer pour partir aux aurores et, le seul jour où c’est digne d’intérêt, elle ne peut se lever ! Que la messe de la St Jean est à 7h30, et le déjeuner des charretiers à 8h30 ! Que son soi-disant grand intérêt pour la chose est passablement émoussé ! Que son étude va avoir un grand manque, car le déjeuner des charretiers est quelque chose de particulier à Barbentane. Il faut savoir que la Confrérie des Amis de Saint Jean invite plus de 450 personnes à manger. Que ce n’est pas un ‘breakfast’ pour demoiselles anorexiques (copieuse assiette de charcuterie, tranche de gigot rôtie, fromage, pain et vin à volonté), bref il ne faut surtout pas le manquer...

Je gueule pour la forme, car personnellement je n’y vais pas, bien qu’invité toutes les années, ma ceinture abdominale pourrait ne pas y résister. Que de toute façon, à neuf heures précises au plus tard je quitterai le mas, qu’elle soit prête ou pas prête. Connaissant sa peur du chien du voisin j’étais sûr qu’elle se presserait. Elle est prête avant l’heure, et par un chemin inhabituel pour elle nous partons enfin vers la place du marché, lieu de rassemblement pour les chevaux, la Charrette et les autres attelages qui vont animer la matinée...

Une vue panoramique de la salle des fêtes remplie d'appétits à assouvir

Je dépose ma passagère vers le point qui me paraît le mieux indiqué pour le rendez-vous de midi, ‘non, me répond-elle, je reste toute la journée à la fête’, ‘ok, lui dis-je, alors rendez-vous à 20h00 à l’Office’. J’arrive à garer ma voiture pas trop loin et je pars contempler le spectacle...

Si vous n’avez aucune idée de ce qu’ont vécu nos ancêtres, venez à ce type de rassemblement. Ça sent le crottin, le cuir, le cheval, les gens au contact des bêtes se calment, les mouvements sont plus mesurés. Les charretiers dans leurs habits de cérémonie s’affairent auprès de ces monstres de près d'une tonne qu’il faut harnacher à la mode sarrasine. Les premiers chevaux avec leurs pompons sont déjà prêts et leur place dans l’attelage est affaire de diplomatie et de dextérité...

Fignolage de la Carreto

Après une distribution de bonjours aux amis rencontrés, je me faufile dans la salle des fêtes pour savoir ce que Tempête a bien pu raconter la veille au soir à Bernadette. Dès que celle-ci me voit, elle me demande si ma locataire n’est pas un peu fêlée ! Ce que je ne savais pas c’est que Bernadette parle un anglais parfait et que c’est dans cette langue que Tempête s’est exprimée. Bien sûr, comme supposé, Tempête s’est plaint de mon hospitalité, mais elle l’avait fait dans des termes tels, que Bernadette s’est mise à douter, et renseignements pris auprès de son mari, celui-ci lui dit ‘Guy n’est peut être pas un homme parfait, mais sûrement pas un bourreau’ ! Bernadette me dit de faire attention car Tempête est peut-être dans une secte, j’émets de gros doutes, ‘en plus si c’est ça’ lui dis-je franchement, ‘elle est mal tombée, chez moi un fervent adepte de l’athéisme, c’est plus elle qui risque de mal finir’. Non, honnêtement, Tempête est complètement dérangée mais je ne la crois pas sectaire...

Le harnachement des chevaux est affaire de compétence

Je me dirige ensuite vers le haut du village pour prendre position en vue de faire des photos de la Charrette. Mais, en montant, de nombreux Barbentanais m’interpellent, soit en me demandant des nouvelles de ma chérie, soit pour me dire qu’une Allemande me cherche. Quand les gardes municipaux m’interpellent à leur tour en me disant qu’une Allemande me cherche, je leur demande, intrigué, l’objet de cette nouvelle affaire...

Là, ils se mettent à rire franchement et partent faire leur boulot parce que des voitures en stationnement gênent la circulation. A l’Office, Carine, la stagiaire, m’explique le pourquoi de la chose. Hier soir, me dit-elle, juste après le feu d’artifice une voiture immatriculée en Allemagne gênait la circulation, les gardes sont venus au pied de l’estrade du bal pour faire une annonce en français donnant ordre au propriétaire de déplacer son véhicule et ma Madeleine s’est présentée, s’est assise sur son tabouret, et s’est imposée pour faire la même annonce dans la langue de Goethe. Succès garanti !

Aussitôt, les gens bien intentionnés, oh les coquins, se sont fait un malin plaisir de la désigner comme ma fiancée. Je comprends maintenant pourquoi, hier soir quand je suis passé au village tout le monde se marrait...

Courageux quand même, je n’ai pas déserté la fête, et malgré quelques gentils quolibets, j’ai pris mes repères coutumiers. Un cameraman, envoyé par des Barbentanais, s’est pointé et m’a demandé de lui indiquer où il pourrait se placer pour bien filmer...

Le cheval, bien entouré, qui sera placé dans les bras de la Carreto

Après quelques études de poste, il opte finalement pour la même place que moi. Je lui indique ensuite le trajet de la Charrette et surtout où se poster pour la voir courir. C’est à cet emplacement que ma nièce est arrivée avec sa charmante petite fille, je prends quelques photos sans même me rendre compte qu’en même temps je prends aussi Tempête dans sa préparation ‘d’images mentales’. Debout sur son tabouret, avec son pantalon presque transparent (un BCLV : Bord Culotte Largement Visible), polo bleu et casquette assortie, elle est surtout en plein milieu, là où va passer la Charrette. Peter notre Anglais bien-aimé vient nous rejoindre, n’étant pas au courant de nos coutumes, il est surtout très impressionné. Je lui indique où se placer car il veut lui aussi faire des photos. Après une bonne attente la Charrette arrive...

Quel spectacle ! 48 chevaux, tous très bien menés, composent le défilé. La ‘Carreto Ramado’ est resplendissante, un peu moins haute que d’habitude mais plus large, d’ailleurs elle nous bouscule plus ou moins, tenant toute la largeur de la rue, enlevant au passage les toiles d’araignée. Son passage dans le centre ancien est unique, il ne faut donc pas le manquer, d’ailleurs si vous n’avez jamais assisté à ce genre de manifestation, venez donc vous régaler...

De retour vers son lieu de départ, la Carreto nous offre une magnifique parade

La Carreto dans la montée de la Grand'rue

Après ce passage, tous les amateurs descendent dans le bas du village et, là, les charretiers après avoir enlevé quelques chevaux, la font courir au grand galop. C’est quand même assez risqué et surtout très impressionnant...

Chemin faisant, je m’arrête toujours pour prendre des photos dans une grande courbe, un des rares endroits où l’on peut avoir une idée de la longueur du défilé. A cet endroit, habite une de mes cousines, et quelle n’est pas ma surprise de l’entendre me demander des nouvelles de ma dulcinée. Elle m’apprend aussi que ce matin, Tempête est venue chez elle laver son tabouret et, lui a expliqué que comme elle ne fréquente pas les cafés, il faudrait qu’elle utilise aussi ses toilettes ! Dans la gêne il n’y a vraiment aucun plaisir pensais-je ! Ma cousine n’a pas l’air bien affectée par cette intrusion, et, après le passage de la Charrette, je pars la voir courir...

Trois beaux passages au galop, sans incident, me permettent même de faire une très belle photo ! Après des félicitations bien méritées aux charretiers, je retourne au mas pour déjeuner...

La vaisselle, après ma sieste, me paraît bien facile à faire, je ne suis pas obligé de la mettre à sécher sur la grande table, mon égouttoir est largement suffisant...

Traditionnellement, le jour de Saint Jean une belle course de ‘toros’ (voir note ci-après) se déroule aux arènes et, tout aussi habituellement, j’y rejoins un ami d’enfance qui ne vient au village qu’à cette occasion. Cette année, même ses parents ont fait le déplacement. Dès mon arrivée, après les effusions d’usage, mon copain s’enquiert de savoir qui est cette femme d’âge mûr, avec une casquette bleue et un tabouret : Tempête !

C'est dans un beau galop que se termine la parade

Décidément, elle fait tout pour se faire remarquer. Alors, je passe une grande partie de la course à leur expliquer mes avatars avec ma supposée chercheuse, ils ne compatissent guère, mais on s’amuse bien, d’autant plus que la course est très bonne avec les quelques frayeurs d’usage comme ce ‘raseteur’ qui a failli se faire ‘enban-ner’ (encorner)...

La course finie, nous nous quittons et je monte au village. Je suis invité au local de l’association ‘Créa-Passion’ qui expose ses travaux de l’année. Après m’être fait expliquer l’expo par une jeune fille que je connais, je me suis, comme tous les autres invités, installé au plus près du buffet. C’est là, au milieu de la rue, que je vois arriver Tempête qui, je le suppose, a reniflé de bonnes odeurs et s’est invitée. Pour la forme, elle jette un coup d’œil aux œuvres exposées, mais lorgne surtout le buffet. Après une fructueuse discussion avec un photographe amateur qui a loué un avion pour faire des photos aériennes de presque tous les villages du coin, je récupère ma chercheuse qui commence à se gaver...

Comme la veille, je la précède pour aller reprendre ma voiture, tout en pensant que l’un derrière l’autre nous formons un curieux défilé. Aux abords du monument aux morts, je suis hélé par un couple du quartier. N’ayant pas vu Tempête, il m’explique en rigolant que ma chérie est venue les voir vers 11h00, un litre de lait et un sandwich à la main, leur demandant s’ils pouvaient les garder au frais jusqu’à midi !

Tout cela se termine avec des applaudissements plus que mérités

Ce sont de braves gens, ils n’ont pas osé refuser. Décidément Tempête a toutes les audaces. Je reconduis ma fiancée au mas et lui prépare son repas. Malgré un en-cas copieux devant le buffet de ‘Créa Passion’ elle se tient dignement à table. A brûle-pourpoint, je lui demande si elle a des enfants, elle répond ‘non’ d’une petite voix, et, là, je me surprends à lui répondre ‘alors ça aussi ça ne marche pas !’ Je suis très bien compris car elle baisse la tête et rougit ! Subséquemment, juste pour me marrer, je réchauffe mon plat aux micro-ondes. Bien sûr, en allant vers l’outil, je le lui montre du doigt et dis ‘Cancer’. Comme l’avant-veille, elle se lève avec une grande célérité en emportant son assiette et ses couverts pour se réfugier de nouveau dans le bureau. Je suis aux anges…

Zone de Texte: COURSES A LA COCARDE
Pour ceux qui ne sont pas coutumiers de nos mœurs, une course de ‘toros’ ce n’est pas une corrida. Ce sont les ‘toros’, dont tous les amateurs connaissent les noms, qui font la valeur d’une course. Sur les affiches le nom des ‘toros’ est écrit plus gros que celui des hommes qui les ‘rasètent’ (c'est-à-dire passent au plus près, ‘ils rasent’, avec un crochet dans une main afin d’enlever les différents attributs* accrochés aux cornes de l’animal sauvage). C’est assez dangereux, ne rasète pas qui veut. Les Raseteurs sont maintenant considérés comme des sportifs professionnels et, franchement, ils le méritent bien.
*Attributs :	 Ficelles, glands (pompons en laine), cocarde (pompon rouge). Le tout est judicieusement ficelé autour ou entre les cornes de l’animal (devant et derrière).

Après cet intermède rapide, elle finit promptement son repas, mais là je lui fais avaler totalement son fromage de chèvre et elle en n’est pas morte ! Elle s’éclipse ensuite dans sa chambre. Une heure après, je la vois redescendre dans sa splendide tenue de bains. Mais, elle n’insiste pas pour la chaudière, elle file directement à la salle de bains. 100 litres d’eau après, je la vois ressortir avec une serviette sur la tête en guise de bonnet me disant qu’elle a mis un peu d’eau car elle s’est lavée la tête et s’enfuit dans sa chambre...

Ce n’est pas un peu d’eau mais les inondations, le tapis de bain est plus que trempé, il a dû servir à je ne sais quoi… Alors, me voilà, à 23h30, le lave-pont et la serpillière à la main en train d’éponger les dégâts. Je fulmine, et le lui fais vertement savoir quand je monte faire sécher le malheureux tapis de bain à l’étendage...

Heureusement, demain sera le jour de la libération, et je pense aux braves gens qui vont la récupérer à Eyragues, car il y a toujours de bonnes gens qui se font piéger par ces calamités ! Je décide aussi, avant de m’endormir, de rajouter une ligne à sa poésie, cela devient :

Madeleine dite Tempête,

Pure et vierge,

La reine des Charrettes.

Barbentane, le plus beau village de l'Univers

CHRONIQUES VILLAGEOISES

TEMPÊTE SUR LA ST JEAN

BARBENTANE 2005