Le musée avorté de la

Farandole à Barbentane

Préambule :

Cet article est l'œuvre de Monsieur Laurent Sébastien Fournier, professeur-chercheur à l'Université de Nantes qui m'a donné la permission de le reproduire ici.

Il est paru dans le Du Haut de la Tour n°72 de janvier 2010...

L'Hirondelle dans le Parc du Château du Marquis, devant le Pavillon des Loges en 1926

(Col Mireille Arnaud-Boissonnade)

C’est en 2000, à l’occasion d’une exposition consacrée aux charrettes de la Saint-Éloi au musée national des Arts et Traditions populaires de Paris, que fut évoqué après un long sommeil le souvenir du musée de terroir de Barbentane. Pourtant, plus de soixante ans après son lancement en 1938, ce musée avait été complètement oublié par les Barbentanais. Si quelques anciens farandoleurs gardaient encore en mémoire les sorties de leurs vingt-ans, bien peu nombreux se rappelaient avec précision que leur activité de danseurs avait suscité de tels enjeux et un projet de musée.

1 – La farandole de Barbentane au XIXe siècle

Ce n’est pas vraiment un hasard si Barbentane fut choisie en 1938 pour implanter un musée d’ethnologie régionale dédié à la farandole et aux danses provençales, dans le sillage de son aîné le Muséon Arlaten. En effet, entre 1850 et 1900, dans un contexte où la farandole est valorisée par le Félibrige comme une expression typique de la culture régionale, les Barbentanais font vite figure de bons élèves.

Des farandoleurs aux arènes Berquet (Col Camille Vettese)

Ils jouent "Roland de Roncevaux" à l’opéra d’Avignon (1866), se distinguent en gagnant le premier prix du concours de farandoles d’Arles (1876), et sont invités à Paris pour animer les "fêtes du soleil" qui collectent des fonds pour venir en aide aux victimes des inondations du Rhône (1886). Tandis que les farandoles populaires du passé se caractérisaient surtout par des chaînes ouvertes illimitées et joyeuses, les Barbentanais participent à cette époque à la codification de pas de danse plus savants. Aidés par un ancien maître de danse militaire venu d’Aramon, Honoré Perrin, ils créent un répertoire spécialement adapté pour le théâtre et la compétition. Leurs danses masculines, exécutées en uniforme, riches en contenu moteur, sont inspirées du ballet et de la gymnastique : c’est l’époque où la scottish, l’anglaise, la mazurka, la gavotte, la fricassée, la gigue et la matelote se diffusent dans les bals de Provence. C’est aussi l’époque où Alphonse Daudet, dans un conte, évoque "Barbentane, le pays des danseurs fameux".

L'Hirondelle devant le Château du Marquis en 1926 (Col Mireille Arnaud-Boissonnade)

2 – Rouges et blancs au début du XXe siècle

Le début du XXe siècle, à Barbentane, est marqué par une adaptation difficile à la modernité. Conservateurs et progressistes se heurtent une première fois en 1905 à l’occasion de la séparation de l’Église et de l’État, puis à nouveau en 1928 – 1929 lorsque les plus dévots des Barbentanais s’opposent à l’excom-munication de l’Action Française par le pape.

Dans tous les secteurs de la vie sociale, les conflits entre "rouges" (républicains) et "blancs" (royalistes) font rage et la farandole n’y échappe pas. En 1925 sont déposés les statuts de L’Hirondelle Barbentanaise qui vient concurrencer "à gauche" la vénérable Farandole provençale dirigée par Émile Pialot. Deux groupes de farandoleurs sont dorénavant présents à Barbentane, ce qui s’inscrit dans le dualisme politique entre "rouges" et "blancs" tout en contribuant aussi à créer une certaine émulation. C’est à cette époque que les filles commencent à participer régulièrement aux sorties. Sous la direction de Louis Pécout, les jeunes de L’Hirondelle Barbentanaise s’entraînent le soir, en semaine, au-dessus du Café Saint-Jean.

L'Hirondelle sur le Petit-Cours en 1926 (Col Mireille Arnaud-Boissonnade)

3 – Les musées de terroir paysan

En 1937, le musée national des Arts et Traditions populaires est constitué à Paris par la volonté du Front populaire. Les chercheurs de ce musée inaugurent une méthode de travail originale pour l’époque qui consiste à quadriller le territoire français à la recherche des traces du folklore et du passé régional. Georges-Henri Rivière, le directeur du musée, appelle à constituer partout où cela est possible des petits musées de terroir dont un exemple est présenté à l’exposition universelle de Paris.

À travers les fédérations folkloriques et le mouvement régionaliste, les farandoleurs barbentanais écrivent au musée national des Arts et Traditions populaires et attirent l’attention du directeur. Lorsque ce dernier est appelé à proposer le nom d’un village français pour représenter la France à l’exposition universelle de New York en 1939, il désigne Barbentane. C’est le début de l’histoire du musée.

L'Hirondelle le jour de l'inauguration du Château de Granrut

le 21 octobre 1925 (Col Mireille Arnaud-Boissonnade)

4 – L’enquête à Barbentane et l’exposition de New York

En novembre 1938, une équipe de quatre enquêteurs parisiens vient séjourner à Barbentane. Ils collectent de la documentation sur l’agriculture, les jeux taurins, les techniques de taille de pierre, l’architecture rurale et prennent des dizaines de photographies des deux groupes de farandoleurs avec lesquels ils décident de créer un musée. Ce musée, qui est prévu pour être permanent, sera testé sous la forme d’une exposition à New York.

Tous les Barbentanais qui espèrent faire partie du voyage sont sollicités pour prêter des objets. Les notables locaux qui font partie du comité du musée les encouragent. Les enquêteurs reviennent à Noël pour surveiller l’avancement du projet. Le 25 mars 1939, Madame veuve Frédéric Mistral offre à Maillane une branche de laurier pour orner le buste de Mistral qui sera présenté à l’exposition de New York. Mais le 18 avril, tout un ensemble d’objets destinés à l’exposition coule en rade du Havre dans l’incendie du paquebot "Paris". À New York, on s’efforce d’organiser une exposition minimaliste avec les quelques objets arrivés intacts.

5 – L’épreuve de la guerre

La guerre éclate en juin 1939 alors que l’exposition de New York n’a pas encore fermé ses portes. Les objets barbentanais resteront sur le sol américain jusqu’en 1947 – 1948 tandis qu’en France, les camps se forment. Pour l’équipe de Louis Pécout, il est hors de question de continuer à danser dans ce contexte : L’Hirondelle est dissoute.

Pour d’autres, menés par Gaston Gautier, il faut au contraire profiter du peu de libertés qui restent et des aides que l’État français offre au régionalisme pour continuer à danser. La Farandole provençale s’engage dans l’action folklorique et rejoint La Respelido. Au musée national des Arts et Traditions populaires, le même cas de conscience partage ceux qui suspendent leurs activités pour entrer en résistance et ceux qui poursuivent leurs activités dans l’espoir de faire changer les choses de l’intérieur. Réhabilité après la Libération, Georges-Henri Rivière écrit aux Barbentanais le 18 août 1945 en vue de reprendre le projet de musée. Sur place, il suscite l’intérêt de Louis Pécout, François Mourrin et Jean-Marie Auzepy qui vont l’aider à relancer le projet.

Farandole La Respelido vers 1930-1935 (col Guite Meyer)

Farandole La Respelido avec Charles Maurras au mas du Juge à Maillane (Col Guite Meyer)

6 – La relance du musée après guerre

Avant même que les objets ne soient revenus de New York, Georges-Henri Rivière sollicite les appuis dont il dispose au niveau national pour faire repartir le projet. Le 17 mars 1946, une réception est organisée à Barbentane pour accueillir l’inspecteur général des musées de province et organiser la relance. Tous les espoirs sont alors au rendez-vous.

On visite le bâtiment de la rue du Four où il est prévu d’aménager le musée et on décide de solliciter une subvention du ministère. Pourtant, dans le contexte de reconstruction qui marque l’après-guerre, la tâche s’avère plus difficile que prévu : il faut de nouvelles enquêtes pour achever le travail de documentation débuté avant la guerre. Il faut aussi que les farandoleurs s’entendent avec la nouvelle municipalité pour assurer le suivi et la gestion du projet. Sur place, les choses s’enlisent : l’abondant courrier qu’échangent la municipalité de Barbentane et l’administration des musées à Paris pendant la période 1946 – 1952 montre les difficultés qu’il y a à obtenir des vitrines, à rapatrier les objets de New York et à dépenser les subventions qui sont votées pour faire fonctionner le musée.

Les farandoleurs et le maire Waresqueil sont désignés "correspondants locaux" du projet, mais ils prennent trop de temps pour s’organiser. Messieurs Pécout et Waresquiel ne s’entendent pas forcément très bien, et par ailleurs, les temps ont changé : pour les jeunes, la farandole appartient désormais au passé. Lorsque les statuts officiels du musée sont finalement déposés en sous-préfecture en décembre 1948, le projet est déjà moribond.

Le constat de son abandon sera établi presque dix ans plus tard par l’inspection des musées de province, après d’interminables tractations pour tenter de réaliser le programme prévu.

Farandole l'Hirondelle au mas Liven en 1926 pour le tournage

du film l'Arlésienne (Col Li Pitchot Galapian)

7 – Après le projet

Dans les années 1960 et 1970, de nouveaux projets d’animation par la danse ont vu le jour. Les groupes de farandoleurs traditionnels ont disparu, remplacés par le football, et la danse a rejoint le milieu des groupes folkloriques. On s’est efforcé de transmettre les pas de danse aux enfants, au besoin en mobilisant les anciens farandoleurs lors de soirées de souvenir.

Aujourd’hui encore, la farandole est vivante dans la mémoire et le cœur des Barbentanais, comme en témoignent les paroles des farandoleurs rencontrés et la belle exposition organisée récemment par Li Pitchot Galapian. Mais le projet de musée, qui souhaitait mettre la farandole au service de l’action culturelle et du développement touristique s’est éteint avec ceux qui le portaient.

Laurent Sébastien Fournier

Farandole de Barbentane, 1er prix aux Fêtes Provençales d'Arles en 1909 (col Ardigier)

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À partir de 2002, des enquêtes répétées ont permis de remettre en ordre l’histoire de ce projet de musée qui a occupé l’administration pendant plus de vingt ans, entre 1938 et 1958, sans finalement voir le jour. Le texte qui suit donne quelques repères pour reconstituer la chronologie d’un projet qui eut en son temps une ambition non seulement locale, mais aussi internationale.