Barbentane Le Château de Granrut |
Avant propos |
Façade ouest, entrée du Château |
Les Bigault de Granrut, Maîtres verriers (fabrication de bouteilles de champagne), résidaient dans le Château des Fontaines à Loivre (Marne)... Le Comte Charles Marie Joseph Albert Louis de Bigault de Granrut (1866-1936) s'est marié en 1892 avec Paule Charlotte Henriette de Puget de Cabassole du Réal de Barbentane (1865-1936) qui, à n’en pas douter, l'avait amené admirer Barbentane… Il est probable que dès cet instant, ce Maître verrier est tombé amoureux de notre village et a décidé de venir y résider. Mais ce n'est pas une classique résidence secondaire qu'il projeta de faire, il se mit d'abord en quête de créer un domaine... |
Donc en 1923, avec les "dommages de guerre"**, les travaux débutèrent dans ce domaine situé à l'est de la "Forêt de Barbentane" sur une corniche qui surplombe l'ancien lit protohistorique de la Durance. Sur cet emplacement, il y avait une "baumo" (grotte) qui fut éventrée, puis le terrain fut aplani pour établir une assise de belle dimension et sur laquelle fut bâti ce nouveau château… |
Le puits de lumière au-dessus de l'escalier d'apparat |
C'est une construction presque carrée (20 mètres par 15 mètres) sur deux étages avec une cave (sous la cuisine), un toit plat bordé de balustres en pierre. Il est enrichi d'une avancée de type bow-window (saillie en forme de trapèze) sur sa façade située au levant… |
Galerie du 1er étage avec tapisserie dans l'escalier d'apparat |
Il a été inauguré en grande pompe le 21 octobre 1925 avec la Société de Farandole "l'Hirondelle de Barbentane" accompagné d'un rallye équestre qui a remporté un vif succès auprès des Barbentanais... Le Château de Granrut était né |
L'accès au Château se fait par sa face ouest. Les portes d'entrée sont vitrées et protégées par une grille en fer forgé décorée de rinceaux où figurent les initiales B et G entrelacées (Bigault de Granrut ? Ou bien Beauregard et Granrut ?). Les murs sont en briques claires avec des pierres de taille pour les chaînages aux angles et les encadrements des baies… |
La façade est, avec son avancée en trapèze, à droite la façade nord |
Le rez-de-chaussée est subdivisé en 6 pièces de belles dimensions. Une fois passés le vaste vestibule et la bibliothèque à droite, on accède, en face, au grand salon oblong qui communique avec une terrasse dégagée plein est. Deux autres pièces, rectangulaires, ont un accès direct au hall, mais aussi entre-elles par les larges portes du salon. Ce sont, la salle nord, sobre, servant sûrement de séjour d'été, et la salle sud, décorée d'un miroir arrondi, servant de salle à manger... |
Les cuisines se trouvaient au nord-ouest. Les pièces des Maîtres sont très lumineuses, hautes de plafond, et entièrement décorées en stuc blanc : médaillons aux angles avec des rinceaux de fleurs et de fruits… |
Au milieu du rez-de-chaussée trône l'escalier d'apparat, monumental, de style "Trianon", en marbre, avec une main courante en fer forgé du plus bel effet. Il est surmonté d'un puits de lumière aux verrières doublées, jaunes et blanches, dans un style Art-déco d'une belle modernité et éclaire une tapisserie en camaïeu représentant un bois et un château (peut-être le domaine des Fontaines). Un second escalier, celui de service, lui aussi en marbre, plus réduit, permet d'aller du rez-de-chaussée jusqu'au toit... |
Escalier de service |
Miroir de contrôle |
Deux particularités sont à noter : dans les communs, sous les fenêtres situées au nord, des niches sont aménagées pour servir de "frigo" naturel et, dans l'escalier de service, un miroir a été installée pour que les servants puissent contrôler leur apparence avant d'aller servir les Maîtres… A l'étage, une belle galerie en équerre, très ouverte, protégée par de remarquables balustrades en fer forgé, n'est pas sans rappeler l'escalier du Château du Marquis de Barbentane… |
Cheminée en marbre noir de la bibliothèque |
Cet étage était organisé en trois pièces côté sud, une pièce côté est (située au dessus du salon). Ces anciennes chambres, de belles dimensions, sont parquetées en chêne. Au nord, plusieurs pièces de factures plus modestes (tomettes au lieu du parquet), étaient réservées au personnel, avec des placards à lingerie, toujours en place, dans les pièces du nord-ouest. Du vestibule, à l'ouest, on accède à un petit balcon soutenu par une colonne qui couvre la porte d'entrée… À l'origine, chaque pièce, y compris le vestibule du bas, avait une cheminée en marbre polychrome... |
L'entrée du domaine est située à l'ouest, il possède un pavillon de même style qui abritait une conciergerie et des écuries. Un jardin exotique, planté d'essences rares, avait été créé dans un espace réservé au nord-est. L'ensemble, Château, pavillon et jardin, est cerné d'une immense grille semi-circulaire en fer forgé, prenant appui sur la roche située au nord-ouest jusqu'à celle située au nord-est... |
Le vestibule d'entrée, l'escalier d'apparat est sur la droite |
Le rocher surplombant le domaine sert de protection naturelle sur sa partie nord… |
A ses pieds, dans la plaine, une ferme, la ferme St Eloi (à l'origine elle se voulait expérimentale) a été construite en 1926 sur un domaine de 30 hectares… En novembre 1942, après l'invasion du sud de la France, la Wehrmacht le réquisitionne pour servir de lieu cantonnement à une compagnie de la Jeunesse Hitlérienne et de maison de repos pour ses blessés en convalescence... |
Des baraques sont construites et des batteries de DCA sont installées pour protéger la ligne ferroviaire et les ponts, routiers et ferroviaires, qui traversent la Durance. Après le mois d'août 1944, il change de "propriétaire" et sert de nouveau de lieu de cantonnement pour les différentes troupes alliées, notamment une compagnie Indochinoise qui a fortement marqué l'esprit des Barbentanais… |
Légèrement remanié à l'intérieur et entièrement réhabilité en 2009, il est actuellement dans une tenue du plus bel effet… Depuis 1957 il sert d'école, plus précisément de Maison Familiale et Rurale, association qui en est l'actuel propriétaire et qui, avec ses 250 élèves, lui assure maintenant une utilisation pérenne… |
La conciergerie et les anciennes écuries |
Les "frigos" naturels sous les fenêtres nord de l'office |
Juste pour la petite histoire, mais c'est une belle histoire, Monsieur de Granrut avait l'habitude d'aller à pied à la gare de Barbentane, de prendre l'omnibus entre Barbentane et Graveson (4 kilomètres), de descendre à la gare de Graveson et de rentrer à pied dans son domaine, juste pour l'immense plaisir de contempler son Château et sa ferme St Eloi de la ligne de chemin de fer !!! Aujourd'hui, la végétation à repris ses droits, les pins d'Alep sont devenus si imposants que le Château n'est plus guère visible à l'horizon de ce côté là… Guy * Louis Marie de Bigault de Granrut est né le 11 avril 1894 à Tamaris sur Mer (Var). Caporal au 94ème d'infanterie, il a été tué le 22 mars 1916 à Vadelaincourt (Meuse) à l'âge de 21 ans (voir son histoire en cliquant ici). Il repose maintenant entre son père et sa mère dans le caveau des de Barbentane-de Waresquiel au cimetière de Barbentane (voir sa fiche de Poilu). Pour accéder au site de la Maison Familiale et Rurale : cliquez ici Remerciements : A Monsieur Denis Martin pour ses recherches dans les archives municipales, à Monsieur Frédéric Dal Canto, professeur à la Maison Familiale et Rurale, aux familles de Barbentane et de Beauregard, à Madame Marcelle Vernet, pour leurs apports indispensables à l'écriture de cet article. Comme toujours, délicates bises à mes indispensables correctrices…. |
Histoire du Château de Granrut |
A ma connaissance, peu de terroirs en France et en Europe, sinon aucun, ne possède un château du XXème siècle... Il aura fallu un concours de circonstances tragiques pour que Barbentane, très beau village de Provence, puisse s'enorgueillir de posséder en son sein une demeure seigneuriale unique... |
Son histoire, bien que très récente, n'a pas fait jusqu'à ce jour l'objet d'une étude complète. Je vais essayer de combler cette lacune... Comme toujours je reste ouvert aux informations supplémentaires (photos, articles de journaux, etc…) que vous possédez et qui pourraient compléter et étoffer cette modeste chronique… |
Deux sont encore en place, une dans le salon est, l'autre dans la bibliothèque. La bibliothèque, avec ses vitrines, est toujours présente à l'entrée… |
L'escalier d'apparat |
La porte d'entrée |
Extrait de la séance du Conseil Municipal de Barbentane du 5 février 1902 : Monsieur le Président expose au Conseil que Monsieur de Granrut, riche industriel du département de la Marne, a manifesté l'intention de s'installer comme propriétaire dans la commune, et à cet effet, d'acquérir des terrains communaux dans notre montagne, ainsi qu'il l'a déjà fait pour d'autres parcelles appartenant à divers propriétaires, cela dans le but de fonder un vaste domaine composé d'un grand immeuble et d'une belle plantation en pins, cèdres, chênes, et tous autres arbres de ce genre dont la nature du terrain montagneux peut leur convenir. Cette demande ayant été agréée en principe, une commission fut nommée pour aller visiter les lieux et estimer la valeur du terrain. |
Le Château, avec à sa gauche la Conciergerie, tels qu'on peut les voir de la route des Carrières |
Le rapport ci-après que je soumets à votre approbation a été rédigé à la suite et les conclusions en ont été adoptées par Monsieur de Granrut et les membres de la commission. |
Rapport de la Commission : L'an mil neuf cent deux et le cinq Février à trois heures du soir, les soussignés, membres du Conseil Municipal de la commune de Barbentane réunis en commission spéciale à la mairie ont étudié les propositions faites par Monsieur de Granrut et ont été d'avis de céder à Monsieur de Granrut moyennant la somme de Dix mille francs les terrains communaux ci-après désignés : Suit un tableau très détaillé qui se résume à : 1 hectare 58 ares et 86 centiares au quartier de Miassouse ; 2 hectares et 43 ares au quartier des Espidègles ; et 7 hectares 72 ares et 04 centiares au quartier de Voulongues, y compris avec le partage d'une parcelle (la n°81) qui n'est cédée que dans la partie Sud qui sera limitée au lieu dit "La lanterne de Pendieu" par une ligne allant de l'Est à l'Ouest, dans le prolongement de la séparation des numéros 1 174 et 1 175 du quartier de Pendieu. La commission déclare en outre avoir passé sur tous ces terrains dans la matinée du même jour et en avoir reconnu la situation et apprécié la valeur. Elle a pris note des engagements de Monsieur de Granrut qui sont les suivants : · Tous les chemins faisant partie des terrains cédés à Monsieur de Granrut deviennent sa propriété, à charge par lui de desservir les propriétaires avoisinants ; · Dans la suite, Monsieur de Granrut s'engage à faire dans le fond des "Grands Abris" un nouveau chemin qui desservira le quartier des Espidègles, en remplacement notamment du chemin de Voolongues ; · Monsieur de Granrut s'engage également à conserver plantations existantes, et même à reboiser les terrains communaux qui lui sont cédés. Ont signé : D'une part, Monsieur de Granrut ; D'autre part, Messieurs F. Granier, Raoulx, Pigeon, JM Bruyère, C. Daire, J Saint-Michel et F. Dupuy. Le Conseil : · Vu la demande de Monsieur de Granrut ; · Vu le rapport favorable dressé par la commission spéciale chargée d'examiner la question ; · Vu la composition du terrain demandé, en totalité inculte et aride, et qui consiste en rochers, cailloux, pierres dures et tendres ; · Vu la nullité du rendement de ces propriétés pour la commune ; · Vu le prix très avantageux proposé par la commission et accepté par l'acquéreur, et qui peut être évalué au double de la valeur réelle du terrain ; · Vu les faibles ressources de notre commune ; · Vu le projet d'adduction et de distribution d'eau potable actuellement à l'étude dans la commune, et qui nécessitera une dépense assez considérable pour son exécution ; · Considérant que la somme versée par Monsieur de Granrut pour cette acquisition nous permettra avec le bienveillant concours du Conseil Général de réaliser cette importante amélioration sans avoir recours à l'imposition de nouvelles charges pour les contribuables ; · Considérant que cette aliénation sera une opération financière très avantageuse pour la commune ; · Considérant en outre qu'il est de notre devoir de faciliter l'installation d'un nouveau propriétaire sur notre territoire en vue de l'exécution des travaux qui en seront la conséquence et des dépenses qui seront inséparables de son séjour dans le pays, auxquelles tous les habitants de la Commune devront en bénéficier ; A l'unanimité des membres présents délibère : 1. D'aliéner en faveur de Monsieur de Granrut pour le prix de dix mille francs, accepté par lui et fixé par la commission, les surfaces des terrains énumérés dans le rapport ci-dessus, avec obligation pour l'acquéreur de se conformer aux engagements qui sont consignés dans ce rapport ; 2. D'affecter cette somme à la réalisation du projet d'adduction et de distribution d'eau potable actuellement à l'étude dans la commune. |
Le même jour : Monsieur le Président soumet à l'avis du Conseil le projet d'adduction et de distribution d'eau potable pour les services publics proposé par Monsieur Lafitte Ingénieur. Le Conseil, vu ledit projet, considérant qu'il en résultera une importante amélioration pour les habitants du chef-lieu ; est d'avis qu'il y a lieu de donner une suite favorable à ce projet et d'en assurer sa prompte réalisation.
On peut donc dire que dès le début du XXème siècle, Monsieur de Granrut avait l'ambition de faire dans cet espace une grande réalisation. D'ailleurs les 21 parcelles qu'il venait d'acquérir à la mairie, étaient toutes, ou presque, plus ou moins enclavées dans d'autres déjà achetées à des particuliers… En plus, surpayées aux dires même des conseillers, cela prouve indubitablement que déjà les prémices du Château étaient en train de germer dans l'esprit de cet industriel marnais… Ils eurent deux enfants, Louis (1894-1916*) et Jeanne (1893-1969) qui épousa en 1923 Joseph Savary de Beauregard (1893-1978). Cette union donna 5 enfants dont Xavier Savary de Beauregard (1926-2009)… Les Granrut possédaient d'immenses domaines forestiers en Argonne (Champagne-Ardenne et Lorraine). Ces forêts étaient les éléments de base indispensables pour "nourrir" leurs fours... |
Ce texte est signé par tous les membres présents : |
Carte postale allemande montrant la sucrerie détruite à Loivre |
Toutes leurs propriétés : château, sucrerie, forêts, fours, usines, furent totalement détruits pendant la première guerre mondiale… Après cette tragédie, le Comte et son épouse abandonnèrent leurs activités industrielles et s'installèrent dans le Var pour y reprendre une exploitation agricole sans abandonner l'idée de revenir à Barbentane et d’y construire leur Château de la Montagnette... |
Même si ce Château ne se visite pas, Barbentane vous attend ! |
L'ancienne chambre du sud-est |
Initiales B et G entrelacées |
Barbentane, le plus beau village de l'Univers |