BARBENTANE Des légendes qui disparaissent |
Louis XIII |
Louis XIV enfant vers l'âge de 8 ans, peinture, château de Versailles XVIIème |
Anne d’Autriche |
Photo du mas de l’Enfant avant 1940 |
Etienne Léon de Robin (1810-1878) |
Indubitablement, tôt ou tard, grâce ou plutôt à cause de notre connaissance plus approfondie de l'Histoire, Barbentane allait perdre une ou plusieurs de ses légendes. C'est le cas aujourd'hui... |
Placet de Gilles de Roubin. Extrait de ses "Œuvres mêlées" publiées en 1714 Ce long placet prouve s’il en était besoin que ces îles n’ont rien à voir avec le domaine des Robin de Barbentane dont aucun marquis n’écrivit jamais de placet de ce genre. Le Placet (texte complet) : Favorable autrefois aux chansons de ma Muse Grand Roi tu daignas m’écouter Et ce doux souvenir dont mon âme est confuse M’enhardit encore à chanter Tu sais que par mes soins et mes ardentes veilles Cet obélisque si vanté De ton règne fameux consacra les merveilles A toute la postérité Qu’ayant gravé ton nom au temple de mémoire Tu tiras le mien de l’oubli En versant dans mon sein un rayon de ta gloire Dont tout mon sang fut anobli Mais tu me fis grand tort, m’accordant cette grâce Je n’en suis que plus malheureux Car être gentilhomme et porter la besace Il n’est rien de si douloureux Ce vain titre d’honneur que j’eus tort de poursuivre Ne garantit pas de la faim Je sais qu’après la mort la gloire nous fait vivre Mais en ce monde il faut du pain Je n’avais qu’un domaine au rivage du Rhône Qui m’en donnait pour subsister On veut m’en dépouiller et me mettre à l’aumône Si je n’ai de quoi l’acheter J’ai donc tout mon recours en ta bonté suprême Mais l’on me met en procès Pourvu que ton grand cœur en décide lui-même J’en dois peu craindre le succès
Qu’est ce en effet pour toi, Grand Monarque des Gaules Qu’un tas de sable et de graviers Que faire de mon isle, il n’y croît que des saules Et tu n’aimes que le laurier
Également puissant dans la paix, dans la guerre Comblé de gloire et de bonheur Maître d’un grand État, quelques arpents de terres Te rendront-ils plus Grand Seigneur ? Laisse m’en donc jouir, la faveur n’est pas grande Ne me refuse pas ce bien C’est tout ce qu’aujourd’hui mon placet demande Grand Roi, ne me demande rien. Et voilà comment deux de nos belles légendes passent à la trappe de l'Histoire... Guy |
CONCEPTION DE LOUIS XIV La première concerne la conception de Louis XIV au mas dit de l'Enfant au quartier de Terrefort… Il nous avait été rapporté que le roi Louis XIII et la reine Anne d'Autriche, lors d'une retraite à St Michel de Frigolet, avaient conçu Louis XIV durant cette nuit forcément mémorable*... Hélas, il est maintenant sûr que Louis XIII et Anne d'Autriche n'étaient pas au village à la date présumée de la conception du futur Louis XIV né le 5 septembre 1638. Des récits affirment que le roi a été conçu dans la nuit du 5 décembre 1637, mais des historiens comme Jean-Christian Petitfils proposent plutôt une date entre le 20 et le 30 novembre de la même année... |
Pour la nuit du 5 décembre 1637, si l'histoire est vraie, elle est assez rocambolesque pour être narrée. Le roi quitte son modeste château de Versailles (rien à voir avec le splendide palais qu'il deviendra 30 ans plus tard) pour aller coucher à Saint-Maur, de l'autre côté de Paris. Il s'arrête au passage au couvent Sainte-Marie de la Visitation, rue Saint-Antoine, pour converser avec l'une des nonnes, Louise de La Fayette, à laquelle le lie une passion platonique. Un orage survient, rendant périlleuse la poursuite du voyage jusqu'à Saint-Maur. L'avisé capitaine des gardes suggère au roi de se replier au Louvre où, hasard, loge la reine Anne d'Autriche. Le roi refuse d'abord. On le prie, on insiste. Enfin, comme l'orage se fait de plus en plus violent, il accepte. Au Louvre, ses appartements n'étant pas préparés, on lui fait remarquer qu'il n'a d'autre solution que de partager le lit de la reine. Pour ne pas gâter ce bienheureux concours de circonstances, les conseillers du souverain transmettent discrètement à tous les couvents de la capitale la consigne de prier toute la nuit afin que celle-ci soit féconde ! |
Mais l'histoire plus sérieuse dément cette rumeur, puisqu'elle indique que le couple royal a séjourné à Saint-Germain du 23 au 30 novembre 1637, période qui, vu sa durée, aura été plus propice pour la conception de Louis XIV... Quoi qu'il en soit, ce n'est pas à Barbentane que cela s'est fait, c'est dommage mais c'est ainsi que l'Histoire est... |
Par contre, il reste sûr qu'Anne d'Autriche est venue, même plusieurs fois, faire "retraite" à notre voisin et très proche monastère. Victime de nombreuse fausses-couches, affublée d'un mari peu enclin aux choses du sexe, il lui fallait bien invoquer une intervention divine à l’époque où la PMA n'était pas encore totalement maîtrisée. Alors, revenons à nos fondamentaux, restons sûrs que c'est grâce au bon air de Barbentane qu'Anne d'Autriche a pu prendre des forces et enfin enfanter… Guy * C'est un fait assez rare dans ce couple pour que cela soit noté. |
LE FAMEUX QUATRAIN DU MARQUIS DE ROBIN Texte reçu de Monsieur Denis Martin C’est l’Annuaire de la Noblesse Française de Borel d’Hauterive, édition de 1854, qui rapporte l’histoire suivante pour la première fois. "En 1680, le Grand Condé, pour la querelle de qui le sire de Robin avait aliéné sa seigneurie de Graveson, lui vint faire une visite dans son château de Barbentane. A son retour près de Louis XIV, il lui vanta tellement la beauté du site, que le grand roi aurait accru son domaine, si son désir n'eût été vaincu par le quatrain suivant, que lui adressa le marquis de Barbentane Robin. Eh! Qu'est-ce donc pour toi, grand monarque des Gaules, Qu'un peu de sable et de gravier ? Que faire de mon isle ? Il n'y croit que des saules, Et tu n'aimes que le laurier !" |
Scan de l’Écho de Barbentane de juin 1906 où, dans un article "Miettes d’Histoires" a été retranscrit une inscription placée sur la Tour d’Andigné. |
Cette bien belle histoire a été depuis lors reprise maintes fois, notamment par Tisseron, en ses "Annales Historiques" de 1861 où il se permit curieusement de substituer au mot "sable" celui de "terre". Elle s’est au fil des années acquis une notoriété méritée pour l’habile tournure du placet mais bien erronée quant à son auteur et au site concerné. Les doutes La revue de la ville de Barbentane "Du Haut de la Tour" en son numéro 59(1) et dans l’article "Barbentane dans le nouveau siècle" laisse prudemment supposer qu’elle est peut être "imaginée ou embellie". Juste prudence ! L’Histoire est entièrement construite d’amalgames complaisants ! D’emblée le texte suscite le doute : tout d’abord en 1680, le Grand Condé, âgé, perclus des douleurs d’une goutte lancinante en son château de Chantilly n’est absolument pas en état de voyager dans le midi de la France et il n’y a aucune chance qu’il ait pu alors se trouver à Barbentane ! Par ailleurs ce n’est qu’en 1730 qu’apparaît le titre de marquis de Barbentane pour les Robin. Ajoutons enfin que leur beau domaine(2) à flanc de Montagnette n’a jamais vu pousser le moindre saule et n’a rien d’une île ! La seule vérité ici est la fidélité inconditionnelle des seigneurs Robin de Barbentane et de Graveson à la cause du prince frondeur pour lequel ils se ruinèrent. Les Graveson notamment en vinrent à vendre en 1660 tous leurs droits seigneuriaux. Quant à une éventuelle visite de Condé, même si aucune relation historique sérieuse n’existe à ce sujet, elle n’est pas impossible et n’aurait guère pu avoir lieu qu’en 1660 quand Condé vint de Paris à Aix pour faire sa soumission au Roi ; celui-ci y séjournait alors peu avant son mariage et au temps de son passage historique à Barbentane chez Jean de Chabert, réputé très fidèle serviteur. |
Où est donc la vérité ? Le célèbre bibliophile aixois Paul Arbaud (1831-1911), dans ses notes manuscrites, a fort bien le premier éventé le piège et soupçonné un amalgame trompeur entre Condé, le domaine des Robin de Barbentane et le placet évoquant l’île du Rhône. Il laisse entendre que selon lui l’instigateur pourrait être le Marquis de Barbentane Etienne-Léon de Robin (1810-1878), homme du monde et homme politique, maire de Barbentane, royaliste fervent, Conseiller Général des Bouches du Rhône, brillant, éloquent, menant grand train, imaginatif et non dépourvu d’un certain goût pour la facétie et la grandeur… Quant au placet lui même, il est bien facile de le trouver dans les "Œuvres mêlées" d’un certain Gilles de Roubin (1630-1712), officier, puis homme de lettres ayant abondamment écrit avec verve et habileté d’innombrables placets, sonnets, lettres ouvertes, madrigaux et quatrains. Le tout fut publié par son fils Joseph avec autorisation royale en 1714. Gilles de Roubin avait également acquis une petite célébrité en tant que membre de l’Académie d’Arles chargé d’aller à la Cour offrir au Roi Soleil la lithographie d’un obélisque romain découvert depuis peu et que cette ville avait érigé en 1676 en l’honneur du souverain. Or, quelques années plus tard, habitant à Pont-Saint-Esprit en son bel hôtel particulier, Gilles de Roubin se trouva en conflit avec le fisc royal au sujet de la propriété de l’île de Malatras, héritage de sa mère, située en amont de la cité. Fort des éloges appuyés qu’il avait reçus du Roi et de la Cour il fit le fameux placet qui lui valut sur le champ un franc succès pour sauver son île. Mistral lui-même, épinglant vertement l’Académie d’Arles, trop mondaine à son goût, écrivit en 1884 "….et de l’Académie… en reste t-il autre chose que le madrigal de Roubin". |
Ce n’est donc aucunement pour parer à une convoitise royale supposée sur des terres barbentanaises des Robin que le placet vit le jour mais ce fut pour sauver de la mainmise du fisc une île alluviale face à Saint-Just-d’Ardèche (Ardèche, 07) et dont était propriétaire Gilles de Roubin, descendant probable lui aussi du fameux médecin du Roi René, Pierre Robin, grand ancêtre d’une famille suffisamment glorieuse pour n’avoir point besoin de cette affabulation. Gilles de Roubin appartenait très probablement à l’ancienne branche languedocienne des Robin (souvent écrit Roubin et dont la descendance vit toujours à Villeneuve-lez-Avignon). Elle n’a rigoureusement rien à voir avec Barbentane où elle ne posséda jamais le moindre arpent ni de terres, ni de sable, ni de graviers. Denis Martin(3) (1) Octobre 2006, page 11, sous la plume d'Henri Daudet (2) A l'emplacement de l'actuel château d'Andigné, juste à côté de l'église dans le Centre Historique du village (3) Monsieur Denis Martin a écrit de nombreux ouvrages sur Barbentane et des Barbentanais célèbres, voir la bibliographie de Barbentane. |
Légendes ou pas, Barbentane vous attend ! |
Barbentane, le plus beau village de l'Univers |
Tableau placé dans la basilique de Saint-Michel-de-Frigolet... |